– Monsieur, que feriez-vous si, ce mois de février, on vous proposait de changer votre regard sur la réalité en vous faisant rencontrer des «faits vrillés»? Si on vous disait que des objets de votre quotidien, ordinaires et anodins, prendraient vie et se mettraient à vous faire rire, rêver, réfléchir, voyager? Je vous pose la question car c’est ce que vous propose l aventure «Faits vrillés 2015»!! Un dessinateur, deux écrivains, le monde, et le tour est joué! Alors… Vous suivez?
– Non Madame, je ne vous suis pas! Des objets qui vivent. Et puis quoi encore. Vous vous moquez du monde avec vos promesses fantasques. Personne ne peut faire ça. Ben tiens, allez-y: faites vos tours de passe-passe. Je vais m’asseoir là pour vous surveiller de près.
– Parfait… D’autres intéressés à suivre cette grande épopée?
– En fait, j’ai mal aux fesses et je suis trop loin. Vous pourriez m’arnaquer. Je vais participer pour être sûr. On vous connait vous les artistes: si on n’y prend pas garde, vous pourriez refaire le monde dans notre dos.
Gustave la grenouille est radieux. Il se tient fièrement au sommet de l’immeuble, son regard vers l’horizon. Au dessous de lui la rue bruisse paisiblement sans se douter de l’exploit qui se trame là-haut.
Gustave va voler! Il a trouvé un superbe parachute en bois chez un sympathique commerçant du quartier. Il calcule une dernière fois sa trajectoire, fait quelques menus échauffements et s’équipe de son nouvel achat. A bonne distance du vide il prend finalement son élan.
Gustave souffle, cours, souffle, cours, souffle encore, cours encore et se jette dans le vide.
Gustave a acheté une anse de théière.
Gustave s’écrase entre un marchand de t-shirt rigolos et un restaurant ambulant spécialisée dans le gratin de quinoa.
Gustave s’écrase entre un marchand de t-shirts rigolos et un restaurant ambulant spécialisé dans le gratin de quinoa tandis que, non loin de là, sa muse aspiratrice l’attend avec impatience… « C’est étrange, il devrait être déjà rentré, pense-t-elle. Et si le parachute ne s’était pas ouvert ? Ou si, au contraire, avait-il été trop performant et qu’il s’était fait emporter par le vent ? »
Pour s’occuper l’esprit et ne pas céder à ses inquiétudes, elle parcourt une nouvelle fois toute la maison, à la recherche d’un grain de poussière à se mettre dans le tuyau. Tout à coup, des pas résonnent dans l’escalier. Ca doit être lui ! On sonne à la porte. Ah non ! La main tremblante, elle tourne le loquet et découvre, dans l’embrasure, deux policiers. Leur air grave laisse présager le pire.
L’un deux se racle la gorge et dit d’une voix qui se veut pleine d’empathie: « Madame, nous sommes désolés. Nous venons avec une bien triste nouvelle : votre mari a été retrouvé au pied de cet immeuble, mort, une anse de théière à ses côtés… Il a du sauter… ».
La muse, n’est, pour le coup, plus du tout amusée… Elle s’effondre par terre dans un nuage de poussière. Sa tristesse est telle que des larmes jaillissent en elle et provoquent un court circuit dans son moteur, la transformant bien vite en un cyclone dévastateur. Anéantie, elle anéantit… et finit par aspirer tout ce qui l’entoure en commençant par les deux pauvres policiers qui n’avaient pourtant rien fait.
Au milieu de ce tumulte, on l’entend alors crier : « Gustave ! Oh ! Mon chéri ! Une anse de théière… Si j’avais su que ta dévotion pour le thé te tuerait, j’aurais plutôt rempli le frigo de bières… Ah ! Comme je m’en veux…! »
– « Gustave ! Oh ! Mon chéri ! Une anse de théière… Si j’avais su que ta dévotion pour le thé te tuerait, j’aurais plutôt rempli le frigo de bières… Ah ! Comme je m’en veux…! »
Tu vois c’est bien simple pourtant! Appliques-toi bon Dieu! C’est un livre pour enfant!
– Mais ma douce. Je fais ce que je peux.
– Arrêtes tes jérémiades veux-tu!
– G.u.s.t.ave o.h. mon c.h.é…
– Ca suffit! Met y du ton. Les points d’exclamations ne sont pas la pour faire joli.
Le roi jette le livre à terre.
– Ca suffit maintenant! Tu m’humilies. Je veux bien apprendre à lire pour te faire plaisir mais je refuse de supporter ton air condescendant une minute de plus.
– C’est ça reste un ignare. Tu seras le roi ridicule. On ne gagne pas le respect de son peuple avec une tête vide.
– Ma famille n’a jamais su lire jusqu’ici et on a toujours été rois, je ne vois pas le problème.
– Oui forcement quand on coupe les têtes pleines, on règne. Comme un barbare mais on règne.
Pour toute réponse le roi piétine le livre et claque la porte.
Pour toute réponse, le Roi piétine le livre et claque la porte. Non mais ! Quel toupet ! Hors de lui, il quitte le Château. Sur le chemin, le voilà qui gesticule, s’arrête, appuie sa tête contre un tronc, repart, imite sa femme en grimaçant : « On ne gagne pas le respect de son peuple avec une tête vide, et gnignigni et gnagnagna ». Il est tellement absorbé par sa colère qu’il ne remarque pas les regards qu’on lui jette en coin et la ville qui s’éloigne, de plus en plus, jusqu’à disparaitre complètement à l’horizon…
Pas très loin de là, Sœur Toinette sort du couvent et entame sa balade matinale: son cœur est rempli de joie et sa tête résonne encore des chants du matin. C’est une belle journée qui s’annonce ! Le ciel scintille et l’odeur du foin fraichement coupé et séchant au soleil lui chatouille les narines… Elle se sent si bien qu’elle ferme les yeux, un instant, pour mieux apprécier le moment. Et quand elle les ouvre à nouveau, quelle n’est pas sa surprise en découvrant son Souverain adossé à une botte de foin, Tête entre les mains et Couronne à terre… Elle s’approche, hésitante.
– Votre Majesté, mais… Que faites-vous là ? Vous devriez rentrer, ce n’est pas un endroit pour un Roi…
– Ma Sœur, et pourquoi pas ? Je m’en fiche royalement ! Cela ne fait que cinq minutes que je suis ici mais je ne me suis jamais senti aussi bien ! Au moins, personne ne vient me déranger et me dire ce que je dois faire ou ne pas faire… Vous savez, parfois, j’ai l’impression d’être une marionnette, de devoir jouer un rôle… Enfin je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça…
Sœur Toinette hoche la tête, reste quelques secondes silencieuse puis dit :
– Alors dans ce cas, restez ici le temps qu’il vous faudra… Et si vous avez faim ou froid, la maison du Seigneur vous accueillera !
– Oh non ! Pas mon Château! Je préfère encore dormir dehors que d’y retourner…
Un roi reste un roi, tout tourne autour de lui. Il y a encore du boulot, mais le premier pas est franchi.
« Il y a encore du boulot mais le premier pas est franchi ». Ces mots lui résonnent encore dans la tête lorsqu’il s’envole pour regagner sa tanière familiale. Pour qui se prend-elle? Elle ne le connait pas. Un dragon de sa stature. Jamais il n’a connu l’échec. Il fera ce qu’il faut pour ça, mais la semaine prochaine il touchera son foutu doigt de pied avec le nez, voir l’oreille s’il prend congé vendredi. Elle a réveillé le grand dragon qui sommeille en lui, l’invincible prédateur. Elle va s’en mordre les doigts cette humaine rigolarde!
Arrivé chez lui il dépose son tapis de Yoga au salon avant de regagner sa chambre. Sa colère est sans borne, mais l’extension de sa souplesse attendra tout de même qu’il aie fait un petit somme.
« Sa colère est sans bornes mais l’extension de sa souplesse attendra tout de même qu’il ait fait un petit somme ». La suite de cette histoire, on ne la sut jamais car l’un des deux brothers de la boîte stoppa net: bourrage de papier. Le deuxième accourut vite à son secours…
– Mec t’as déconné! Vas-y, viens là ! J’vais te faire cracher le morceau !
– C’est cette phrase couz’… Le français littéraire, ça m’fait vriller. C’est un ouf celui qui a écrit ça !
– Que dalle… Il paraît que ces mecs-là, ils ont un génie qui leur écrit tout. Ils n’ont aucun mérite. Un peu comme toi avec la zik, quand tu as un génie à l’oreille qui te chante un rap et que tu en fais un tube quoi…
– Grave… C’est trop ça ! D’ailleurs, ça pourrait le faire un rap sur le thème de la boulette non ?
– Je crois que c’est déjà fait. Attention… T’es prêt ? Je tire !
On entendit un bruit de papier froissé, un déclic, puis plus rien… Chacun retourna vaquer à ses occupations.
Chacun retourna vaquer à ses occupations
– Y a quelqu’un?
Il s’extrait comme il peut des poubelles.
– Les gars? S’il vous plaît. Je vais avoir besoin d’un coup de main là.
Il s’avance péniblement de quelques pas en manquant de tomber une bonne dizaine de fois. Exténué, il se secoue pour se débarrasser des peaux de bananes et des papiers de barres chocolatées collées sur son visage.
– Hahaha. C’était rigolo l’idée de l’extincteur. Ca fait de la mousse sur ma tête.
« Klong! », il s’assied pour souffler.
– Sérieusement, j’aimerais beaucoup que vous reveniez. Ma mère n’aime pas que je sois en retard pour le souper.
Son oeil laisse échapper une larme qui glisse à toute vitesse sur son bec et vient s’écraser sur son pied.
– Rendez moi mes sous et sortez-moi cet extincteur de mon ventre ! J’en ai marre de vous!
« Klong! », il se laisse tomber sur le côté et roule doucement face contre terre.
« Klong ! », il se laisse tomber sur le côté et roule doucement face contre terre. Enfin ! Après trois mois de dur labeur, il vient de terminer ce foutu jeu vidéo !
Combien d’heures a-t-il passé les yeux rivés sur l’écran et les mains crispées sur sa manette, ne s’interrompant qu’en cas de force majeure ? Combien de nuits est-il resté à veiller pour que son héros ne meure pas, terrassé par un danger qu’il n’aurait pas vu venir ? Il ne le sait pas : le temps semble s’être arrêté. Il se sent heureux mais vidé : un sourire béat éclaire son visage mais ses paupières tombantes obscurcisse sa vue. Petit à petit, l’adrénaline retombe et la réalité s’impose.
Lentement et péniblement, il relève la tête et tente d’atteindre la théière pour s’abreuver. Elle est vide. Il se traine alors jusqu’à la cuisine et ouvre le frigo. Rien. Il rassemble ses dernières forces, se lève, balaie d’un geste furtif les deux centimètres de poussière accumulés sur ses habits et se dirige vers sa chambre pensant y trouver sa Belle au Bois dormant. Le lit est défait, les rideaux tirés et une lettre trône sur son oreiller.
« Bonjour mon cœur… Bienvenue dans la réalité ! J’espère que tu te portes aussi bien que ton héros et que tu es fier de tes exploits de ces trois derniers mois… Quant à moi, à nous, je crois que le jeu a assez duré… J’abandonne, game over, avant que mes vies ne me soient toutes enlevées… Je t’aime… Adieu… »
Si la vie était un jeu vidéo, il aurait recommencé la partie, fait les choses autrement… En gagnant, il venait de perdre le plus important… Et que faire à présent?
« Et que faire à présent? », cette phrase fut la première a heurter son esprit le jour de son arrivée à la tête de cette gare. Celui d’avant, tombé subitement malade, n’était jamais revenu. Il s’était donc débrouillé seul: il avait trituré le tableau de bord dans tout les sens et étudié les réactions ferroviaires que cela engendrait. Les premiers temps quelques trains en avaient fait les frais mais depuis la gare fonctionnait mieux que jamais.
Aujourd’hui, il savait que le levier de gauche agitait l’aiguillage d’entrée. Il l’utilisait principalement pour accueillir les trains venu du sud, cela leur donnait le sourire. Le levier de droite assez logiquement agitait l’aiguillage de sortie. Celui-ci était moins sympathique. Il en usait sur les trains flemmard qui roulaient sans conviction pour les rappeler à leur joie de servir le rail. Quand aux autres boutons, il les trouvait très jolis mais il n’avait jamais réussi à en définir l’utilité. Il se contentait alors d’appuyer dessus de temps à autre pour faire bonne figure.
A vrai dire il y en a un qui malgré son inutilité lui plaisait plus que les autres. Ce devait être autrefois un bouton d’alarme. Aujourd’hui, avec l’agitation démesurée de cette gare, plus personne n’y prêtait attention.
Lors des heures creuses, lorsque les trains se faisaient plus espacés, il se dressait très sérieusement sur son siège, prenait un regard grave et criait à tue tête: « Alerte! Alerte! ». Dès que deux ou trois voyageurs proches tournaient leur yeux vers lui, il activait son bouton préféré. En réaction, le clocher au sommet de sa tête se mettait a retentir de toute ses forces, laissant le public médusé.
Enchanté de sa blague, il éclatait à chaque fois d’un fou rire incroyable qui le réjouissait pour le restant de sa journée.
Enchanté par sa blague, il éclatait à chaque fois d’un fou rire incroyable qui le réjouissait pour le restant de sa journée. Un beau jour, un cheminot était attablé au buffet de la gare, devant sa traditionnelle assiette de spaghetti à l’aromat, quand l’alarme retentit. « Quel vieux fou cet aiguilleur ! Un rien l’amuse ! » Ceux qui ne le connaissaient pas auraient perçu dans ce commentaire une pointe de dédain… Mais il n’en était rien. En réalité, il l’admirait. Comment faisait-il pour rendre son travail ordinaire si extraordinaire juste en carillonnant gaiement de temps en temps ? Il réfléchit…
Cela faisait des années qu’il sillonnait les chemins de fer de ce petit pays et qu’il endurait son métier plus qu’il ne l’appréciait. A la longue, il avait développé une intolérance au bruit des trains et ne quittait plus son casque de fonction. Il se levait chaque jour de bon matin, suivait Madame la Routine en trainant les pieds, travaillait machinalement et attendait, patiemment, que la journée s’achève. Ce n’était pas une vie et il le savait… « Ah! Si seulement j’avais pu faire une école de danse… ! » Car oui, ce cheminot-là était un très bon danseur. Son temps libre, il le consacrait à sa passion : il dansait chez lui, dans la rue, dans les bars, sous la pluie ! Ses mouvements étaient si gracieux que bien souvent, des gens s’arrêtaient pour le regarder… Mais voilà, cette vocation, il l’avait abandonnée depuis bien longtemps… Il fallait qu’il gagne de l’argent et qu’il prenne ses responsabilités.
Ce jour-là pourtant, il sentit que l’aiguilleur fou lui avait sonné les cloches. Il réalisa qu’il devait, certes, accomplir ses obligations mais qu’il pouvait y injecter une mini-dose de rêve. D’un geste décidé, le cheminot repoussa alors son assiette, but sa dernière gorgée de bière (ou de thé ?), paya l’addition et retourna travailler. Sauf qu’au lieu de cheminer bêtement le long des voies, il se mit à danser… Un voyageur, le nez collé contre le vitre, sourit en le regardant et pensa : « Quel vieux fou ce cheminot ! Un rien l’amuse ! » Ceux qui ne le connaissaient pas auraient perçu dans ce commentaire une pointe de dédain… Mais il n’en était rien. En réalité, il l’admirait. Comment faisait-il pour rendre son travail ordinaire si extraordinaire juste en dansant gaiement de temps en temps ? Il réfléchit… Et… Vous connaissez la suite ?
Il réfléchit… Et… il décida finalement d’aller aux toilettes. Sa vessie le tiraillait depuis ce matin. En chemin vers le lieu sacré, il croisa l’habituelle dame pipi, Sainte parmi les Saintes qui avait la gentillesse de garder les lieux d’aisance propre en toute circonstances. Celle-ci habillée de blanc comme le veut la tradition ne lui prêtait pas la moindre attention. Assise derrière sa petite table, elle semblait affairée à polir un objet qu’il n’arrivait pas à identifier.
Ce n’est qu’au moment de repasser dans le sens inverse qu’il se préoccupa de la traditionnelle pièce qu’un gentilhomme se doit de laisser dans la coupelle d’offrande. Malheureusement pour lui son porte monnaie était aussi vide que sa vessie. Il eu beau fouiller méthodiquement chacune de ses poches: aucun sou providentiel ne s’y était égaré. Penaud, il se décida à passer tout droit en affectant un air pensif. Avec un peu de chance Sainte Mère Pipi lui accorderait sa miséricorde ou serait encore trop affairée pour le remarquer.
Une épée. Dame Pipi, une lame presque aussi grande qu’elle sur l’épaule, le regardait sortir. Terrorisé, il rangea aussi sec son air pensif. Elle savait. Le châtiment allait s’abattre sur lui. Quel triste façon de mourir.
« Juliette! Range moi ça tu veux. Voilà ta pièce et laisse Monsieur tranquille ». Dans une pirouette joyeuse le cheminot jeta une petite pièce d’or qui vint s’écraser doucement dans la coupelle de Dame Pipi. Cette dernière satisfaite rangea son arme et salua les entrechats du chef de train d’un gigantesque sourire.
Cette dernière, satisfaite, rangea son arme et salua les entrechats du chef de train d’un gigantesque sourire. La nuit tombait. Il n’était pourtant pas tard mais c’est bien connu : l’hiver est avide de lumière. Il en garde un maximum pour sa consommation personnelle et ne laisse à ceux qui en ont besoin que de petites miettes. Madame Pipi s’apprêtait à fermer boutique quand elle entendit des pas derrière son dos. Promptement, elle fit volte-face, pointa son arme devant elle puis se ravisa en reconnaissant le personnage:
– Monsieur Hic, vous m’avez fait peur ! Oh… Non… Pas déjà à cette heure, c’est pas vrai. Comment pouvez-vous pomper autant? Tenez, un verre d’eau…
– Hic… Non, merci ! L’eau ça fait rouiller… Je peux vite passer…. Hic !… aux toilettes ?
Il n’attendit pas la réponse, posa son verre vide et entra. Madame Pipi poussa un soupir et s’écarta pour le laisser passer. M. Hic était très connu dans la gare, et du temps qu’il était ici, on ne l’avait jamais vu sobre. Heureusement, il n’avait pas l’alcool méchant mais plutôt attendrissant. Il distribuait des « free hugs » et des « free kiss » à tous les passants qui les acceptaient poliment. C’est donc bien naturellement que quand il revint, elle eut droit à un gros câlin en guise de remerciement. Puis il repartit, marmonnant des paroles incompréhensibles, riant aux éclats, titubant, tour à tour gesticulant ou laissant ses longs bras trainer derrière lui, jusqu’à disparaitre dans la nuit… Le hic, c’est qu’après cette nuit-là, on ne le revit jamais… Etait-il parti vers d’autres horizons ? Avait-il rendu son dernier hic ? Personne ne le savait. En revanche, ce que l’on sait, c’est qu’il laissa un grand, très grand (verre) vide derrière lui.
Il laissa un grand, très grand verre vide derrière lui. La tension dans la salle était palpable tout le monde regardait le verre. Après quelques minutes, il revint avec un radiateur sous un bras et une peau jaune à points noirs sous l’autre. Il installa le radiateur à côté du verre avant de l’envelopper de la peau. L’étrange installation faisait ainsi face au verre. Le public retenait son souffle.
Le magicien gesticula brièvement en murmurant une invocation complexe qui suspendit le temps quelques secondes.
Subitement un rugissement terrible se fit entendre, et le verre mangea le radiateur.
Subitement, un rugissement terrible se fit entendre et le verre mangea le radiateur. C’était le final : le public se leva pour saluer l’exploit du magicien qui se retira sous un tonnerre d’applaudissements. Nous étions le 14 février 2015 et à une époque où la technologie était très avancée, il fallait souvent revenir à des phénomènes simples et basiques pour émerveiller un public.
En sortant du spectacle, Mr Love était de très bonne humeur : il y avait quelque chose de léger dans l’air mais qu’il n’arrivait pas à identifier. Il décida alors de rentrer à pied, espérant trouver une explication sur le trajet.
A peine eut-il fait quelques pas qu’un jeune couple l’arrêta : « Pardon Monsieur, on peut vous en acheter un ? » « Oui bien sûr, faîtes ». La jeune fille se tourna alors vers son copain : « Thin ça ira pas hein ? Intense ou luxus ? ». Et lui de rougir : « Comme tu veux, allez, on y va ! Merci ! ». Le vendeur sourit en voyant leur gêne et voulut continuer son chemin…
… quand une autre voix le héla : « Attendez ! Monsieur ! Attendez ». Mr Love regarda venir à lui deux hommes main dans la main. « Désolés de vous retarder, on aurait juste besoin d’un… » « Allez-y, pas de soucis ! » « Vous avez ceux à la fraise ? Non ? Bon tant pis, colors alors, on teste ! Merci ! Bonne soirée ! ». Il les salua d’un air attendri, fit un pas et…
… manqua de s’encoubler dans une canne qui lui avait agrippé le pied… Un couple, frisant la huitantaine, le dépassa alors gaiement. « Jeune homme, vous seriez bien aimable de nous donner un… Tenez ! Voilà cent sous ! » Mr Love était interloqué mais il s’exécuta: décidément, ils s’étaient tous donné le mot ou quoi ? « Vous êtes bien brave… Merci jeune homme et joyeuse St-Valentin ! ».
C’était donc ça… Mr Love eut un sourire satisfait : en plus d’avoir résolu le mystère dans l’air, il venait de trouver son nouveau slogan. Se protéger, OUI ! De l’amour, NON !
« Se protéger, OUI! De l’amour, NON! ». La grand maman de Gustave lui avait répété ça à l’envi tout au long de son enfance. Une phrase terrible qui avait conditionné entièrement ce qu’il était aujourd’hui. Gustave était paranoïaque: il ne sortait jamais de chez lui sans son chapeau de métal. Il le protégeait de tout ce qui ne lui arrivait pas. Grace à lui, nombre d’hypothétiques catastrophes avaient été évitées: des dizaines de pots de fleurs chutant d’une fenêtre, des centaines d’attaques au bâton en direction de sa précieuse tête et des milliers de chutes dans un ravin sans fond. Gustave n’était jamais assez prudent face à l’éventuelle violence de ce monde.
Gustave avait tout de même développé, en cachette du fantôme de sa grand-mère, quelque chose qui pouvait s’assimiler au plus grand de ses interdits: l’Amour! Gustave, dans les interstices de sa vie de terreur, avait développé une passion. Il l’avait rencontrée par erreur un soir devant sa télé. Elle lui avait inoculé de suite une étrange légèreté. Une sensation nouvelle qui faisait chavirer son couvre-chef de métal. Oh, rien qui pourrait impliquer une Gustavette, il n’était pas fou quand même. C’était une toute petite chose mais à laquelle au fil du temps il tenait encore plus qu’à sa grand-mère: aujourd’hui pour être heureux, Gustave dansait.
– C’était une toute petite chose mais à laquelle au fil du temps il tenait encore plus qu’à sa grand-mère : aujourd’hui, pour être heureux, Gustave dansait… Voilà, fin de l’histoire. C’est l’heure du dodo maintenant.
– Mais Papa, je ne comprends pas. Gustave, c’était pas la grenouille du début ? Et celui qui dansait pour être heureux, le cheminot ?
– Oui effectivement tu as bien suivi… Bravo ! C’est une autre histoire tout simplement.
– Papa… Je ne suis pas fatigué… A moi de te raconter une histoire d’accord ?
– D’accord, mais pas trop longue…
– Ouaaaais ! Alors, on va dire que c’est l’hiver. Il fait très froid. Dans le village, tout le monde est rentré se réfugier chez soi, au coin du feu. Tous sauf Lumignon : à travers la vitre, on le voit enfiler ses grosses bottes de neige et sortir en douce pour rejoindre sa Lumignonne. Chaque jour, il ne vit que pour ce moment : Lumignonne est son amie, son amante, sa confidente, sa muse… C’est un être fragile qui ne brille que la nuit et qui se nourrit uniquement de neige. Alors tous les soirs, quand la nuit tombe, il va cueillir les meilleurs flocons et il les lui apporte sur un plateau d’argent. Ce soir-là, Lumignon a de la peine à la trouver. C’est étrange car d’habitude, elle brille plus que lui et il la voit de très loin. Quand il arrive, il la trouve dans un sale état : sa lumière est pâlotte, prête à s’éteindre. Elle pleure. Il s’approche, se colle à elle pour la consoler et avec beaucoup de patience, un flocon après l’autre, il la nourrit. Ils ne parlent pas, il ne savent pas parler : ce sont les gestes qui comptent. Petit à petit, elle reprend vie : elle l’attendait, elle avait besoin de lui. Quand elle est à nouveau lumineuse, il s’écarte un peu pour l’admirer… Qu’elle est belle ! Sa lumière rougit. Cette nuit-là, ils s’endorment l’un contre l’autre, en silence, échangeant de temps en temps des bisous de lumière… Voilà, fin de l’histoire… Alors Papa, ça t’a plu ? … Papa… Tu dors ?
– Rrrrrrooooooonnnn, pchhhhhhhiiiiittt… Rrrrrrroooooon, pchhhhhiiiit…
Rrrrrrooooooonnnn, pchhhhhhhiiiiittt…
Dans le château l’agitation était à son comble. Un grand banquet se préparait. La cour se paraît de mille lumières. Lorsque le bruit se confirma le roi s’immobilisa.
Rrrrrrooooooonnnn, pchhhhhhhiiiiittt…
Il appela immédiatement la garde: « ne laissez pas entrer ce bandit! Faites appel à notre armée entière si il le faut, mais il ne doit plus rester le moindre trou de souris non surveillé dans ce château. Je ne le laisserait pas gâcher l’anniversaire de ma fille. Celui qui le laissera passer sera pendu! ».
Rrrrrrooooooonnnn, pchhhhhhhiiiiittt…
Le roi tremblant de rage s’assit à la table du banquet, pendant que ses serviteurs terminaient d’allumer les deux mille bougies du chandelier royal.
Rrrrrrooooooonnnn! Gustave termina sa dernière roulade sur la table, juste sous le nez du roi. Pchhhhhhhiiiiittt! Il relâcha la vapeur de cette dernière téléportation au visage écarlate de sa majesté. Gustave se mit immédiatement au travail: son fidèle mange-lumière plongea rapidement le château dans l’obscurité. Il disparu avant même que la moindre épée soit pointée dans sa direction.
Rrrrrrooooooonnnn, pchhhhhhhiiiiittt…
Quelques secondes plus tard sur la place du village, une faible lueur apparu au milieu d’un nuage de vapeur. Tous les regards se tournèrent vers elle. Instantanément ces centaines de yeux privé de lumière depuis plusieurs semaines pour les besoins de la couronne, se remirent à briller. En moins d’une minutes Gustave avait rendu au village tout son éclat, avant de disparaître à nouveau.
Rrrrrrroooooon, pchhhhhiiiit…
Les rues de notre ville peuvent bien se pavaner…
Rrrrroooooonnnnn pchiiiiiiit… 7:30. Comme chaque matin, le réveil intérieur de M. Pavé a bien fonctionné. Il entrouvre les yeux, émet un grognement rauque puis les referme instantanément… Dans la cage d’escalier, il entend le petit garçon d’à côté partir à l’école : ça veut dire qu’il est 7:45 environ. Mais il profite encore, jusqu’au dernier moment, qui n’est autre que celui des claquements aigus des talons de la voisine sur les marches de pierre. 8:15 ! Promptement, il envoie voler la couverture, prend une douche, boit son traditionnel café à la cannelle, et part travailler… Jusqu’ici, rien d’anormal vous me direz : et pourtant, quel original ce M.Pavé !
M. Pavé – il porte bien son nom – est confectionneur de pavés. Il s’est découvert cette vocation très jeune en raison de sa constitution : « Ma langue trainait souvent sur le sol et je me suis vite rendu compte que les rues piétonnes de notre ville avaient toutes le même goût de béton fadasse. J’ai trouvé ça triste et j’ai décidé de créer une entreprise de « PavéXotiqueS» » témoigne-t-il en souriant. Depuis, il parcourt le monde à la recherche de matières et de saveurs inattendues et lorsqu’il trouve ce qui lui plait, il jette nonchalamment les ingrédients dans son sac à dos incorporé et, de retour dans notre ville, en fait des revêtements de chaussées.
Le portrait ci-dessus immortalise l’inauguration d’un nouveau pavé au goût de coriandre et lime ramené d’un voyage en Amérique du Sud. « Acide certes, mais tout à fait délicieux.» commente le syndic. Avec de telles inventions, les rues de notre ville peuvent bien se pavaner… Mais la modestie et l’imprévisibilité de leur inventeur forceront quiconque aimerait le connaître à le chercher longtemps avant de le trouver. Car si le réveil intérieur fonctionne bien, ce n’est pas le cas de l’agenda ni du téléphone portable. Conseil de journaliste : passez donc à l’improviste, vous aurez peut-être, comme nous, de la chance…
« Conseil de journaliste : passez donc à l’improviste, vous aurez peut-être, comme nous, de la chance… »
– Ah non Madame, je suis vraiment désolé mais on a tout vendu : une véritable tornade ! Cinq minutes après l’ouverture du magasin il ne restait plus un exemplaire.
– Arf! Comment je vais faire avec mes enfants. Ils vont être terriblement déçus.
– Je comprend bien, mais c’est depuis l’article dans le journal: vous savez comment sont les gens…
– Oh ça oui… Que pouvez-vous me proposer en remplacement?
– C’est pour vos enfant vous m’avez dit?
– Oui, j’en ai deux: un humain et une girafe.
– Oh si c’est pas mignon! J’adore les humains. Suivez-moi, j’ai exactement ce qu’il vous faut.
Le vendeur s’enfonce dans les méandres du magasin d’un pas assuré.
– Voilà la petite merveille: l’Astrapi 4800! Une luge biplace parfaitement adaptée à la morphologie de votre progéniture.
– Bel engin en effet. Vous allez me trouver vieille école, mais d’un point de vue sécurité que comprend-elle?
– N’ayez absolument aucun soucis Madame. En plus des deux arceaux de protection intégrés, deux casques sont offerts!
– Merveilleux! Il ne reste plus que la question du prix alors…
– C’est malheureusement là que le bat blesse: 980 CHF pour l’ensemble.
– 980CHF!!! Mais c’est exorbitant!
– Je sais bien, mais vous avez de la chance un rabais substantiel de 50% vous est accordé si vous l’équipez d’une bombe. De notre côté cela nous garanti la vente d’une nouvelle luge à moyen terme et du votre vous offrez à vos enfants le fleuron de la luge hivernale pour un prix minuscule.
– Quelle idée fantastique! C’est extrêmement commerçant de votre part. Croyez-moi, je n’oublierais pas de vous recommander.
– A votre service Madame! Attention par contre à bien enlever vos enfants avant l’explosion, sans ça vous serez obligée d’en refaire.
« Attention par contre à bien enlever vos enfants avant l’explosion, sans ça vous serez obligée d’en refaire. » Cette notice apparaissait à présent sur presque tous les jeux dangereux pour enfants à titre préventif : luges, vélos, trottinettes, trampolines, skateboard, rollers en étaient tous parés, ce qui n’empêchait pas les parents de les acheter, faisant moins attention à leur progéniture qu’à leur porte-monnaie.
Or, un beau jour, Miguel et ses parents effectuaient leurs traditionnelles emplettes du samedi quand le petit flasha sur la nouveauté du rayon : un OVN’hélicoptère, capable de porter jusqu’à 30 kilos en l’air à environ 20 mètres d’altitude, muni d’un joystick intégré pour le commander !
Miguel était un enfant téméraire et aventurier : il aimait les sensations fortes, les voyages et était passionné d’astronomie. Il rêvait d’être accrocheur d’étoiles. « Papa, Mama ! Es genial! Será mi regalo de cumple !» (Papa, Maman, il est génial ! Ca sera mon cadeau d’anniversaire!). Ses parents, immigrés mexicains, acceptèrent. Ils virent bien la notice fluorescente mais, sans traduction, impossible de la comprendre.
Le jour de son anniversaire, il le lui offrirent donc et partirent au Chalet-à-Gobet pour tester l’engin. Miguel s’installa confortablement sur son OVN’hélicoptère et se mit à tester les boutons : nord, sud, est, ouest. Logique, rien de très compliqué.
Riant aux éclats, il fit quelques voyages, ne dépassant guère la cime des arbres. Quelle sensation de liberté ! Prenant confiance, il se mit même à piloter l’engin, mains en l’air, avec ses pieds ! Ce ne fut qu’en fin de journée, quand ses parents l’appelèrent pour rentrer, que le drame se produisit…
Alors qu’il s’apprêtait à effectuer un atterrissage magistralement maitrisé, le moteur s’emballa puis… explosa ! PAAAAAAM ! En une fraction de seconde, Miguel vit le Lac Léman s’éloigner, la lune, la Voie lactée et finit par s’accrocher in extremis à une étoile sur le trajet. Son rêve ultime venait de se réaliser.
Quant à ses pauvres parents, ils retournèrent au magasin et furent reçus avec beaucoup d’empathie et d’humanité : « Nous sommes désolés, c’était écrit sur la notice. Nous déclinons toute responsabilité en cas d’accident…».
« Nous déclinons toute responsabilité en cas d’accident » sur sa croupe, Heinrich gambadait la queue frétillante entre les fleurs.
– Maman regarde un chien nazi!
– La mère outrée regarde son fils avec de grands yeux.
– Mon chéri que dis-tu? Ce chien n’est pas nazi.
– Pfffff! Je vois bien qu’il est Allemand: regarde son nom. La maîtresse elle a dit que les nazi y sont en allemagne.
– Oui mais non Gustave, tout les Allemands ne sont pas nazi. Et on parle d’un chien là.
– Oui ben justement. Ce chien il est bizarre, il tue des fleures avec du gaz. Moi je sais pas mais dans les histoires de la maîtresse eh ben…
– Ca suffit Gustave! C’est un chien désherbant. Tu n’as jamais vu de chien désherbant? Ta maîtresse ferait mieux de vous parlez de ça au lieu de vous raconter des âneries.
– Les nazis c’est des âneries maman?
Heinrich tout à sa sainte extermination florale, n’entendit pas la baffe retentissante que se prit Gustave en ce radieux samedi après-midi.
Heinrich tout à sa sainte extermination florale n’entendit pas la baffe retentissante que se prit Gustave en ce radieux samedi après-midi. Par contre, elle fut si violente que Gustave tomba de tout son poids sur le sol, que la Terre trembla et qu’une onde sismique se propagea jusqu’en Nouvelle-Zélande, provoquant un gigantesque raz-de-marée.
Ce jour-là, le vieux Barche prenait le soleil tranquillement amarré pas loin de Coco Beach. Il venait de rentrer et la pêche avait été bonne : un énorme poisson se trémoussait à son bord. En réalité, c’était un drôle de poisson : cela faisait à présent près d’une heure qu’il n’avait pas eu d’eau et il était toujours vivant. Un dur à cuir selon les dires des pêcheurs…
La mer était calme, pas un souffle de vent, quand tout à coup, on vit apparaître une ligne blanche à l’horizon. Les pêcheurs flairèrent un événement inhabituel et le gros poisson commença à s’agiter. Les yeux rivés sur l’horizon, il signalait de la nageoire la ligne blanche qui grandissait et s’approchait dangereusement en criant dans un langage incompréhensible aux humains.
Comprenant qu’il s’agissait d’un raz-de-marée, leur pire ennemi, les habitants de la côte coururent désespérément vers l’intérieur des terres tenter de se mettre à l’abri. Quant au poisson, il hurlait à son vieil ami l’Océan de venir, vite, très vite : son étreinte allait lui redonner la vie, tandis qu’à d’autres, elle allait donner la mort… Ami – ennemi, tout est une question de point de vue…
Morale de l’histoire : un petit acte de violence à un bout de la Terre peut engendrer une catastrophe planétaire…
« Un petit acte de violence à un bout de la Terre peut engendrer une catastrophe planétaire: l’effet papillon. Alors moi depuis je me méfie des papillons. C’est jooooooli mais c’est trèèèèès dangereux. Hein dit Monsieur Caillou? »
« Ah oui, pourquoi je suis là? Je vous prie de m’excuser Monsieur Louis, depuis que Monsieur Caillou est rentré dans ma vie et dans ma tête, je ne suis plus vraiment le même. Je crois que je viens pour mon permis moto. Je refuse de rouler sans autorisation même si je n’en ai pas vraiment besoin: je conduis déjà très bien. Et si vraiment un accident devait survenir, j’ai Monsieur Caillou qui me protège. Non vraiment si je viens vous voir c’est parce que je ne veux pas aller en prison. »
« Je n’ai pas de moto vous dites? Non pas en entier en effet, mais j’ai une roue, ça compte non? »
« Non? Je n’ai pas besoin de permis pour mon motocycle? Oh ben vous m’en voyez soulagé, je n’ai pas d’argent. »
Gustave rigole et remonte sur son monocyle. Il salue la fenêtre de son salon et pédale en direction du couloir.
« Au revoir. Cher Monsieur! »
Suite à divers dérangements, je me permets de vous écrire ces quelques lignes afin que nous nous mettions d’accord sur quelques règles rudimentaires de bon voisinage. J’estime ma patience et mon seuil de tolérance très élevé mais vous outrepassez les limites…
Serait-il possible d’écouter Bruno Mars un peu moins fort et à des heures décentes ? J’imagine que vous devez danser devant votre miroir, répétant le numéro de charme que vous ferez par la suite aux jolies filles que vous sifflez lorsqu’elles viennent récupérer leur courrier ?
Sachez que, malgré ce fond sonore et les parois qui nous séparent, je suis à même d’entendre toutes les remarques salasses que vous faites à leur passage et que ma pudeur naturelle m’empêche de rapporter ici. Si seulement vous étiez au rez-de-chaussée, cela correspondrait plus à votre niveau. Mais non, rez inférieur ! Juste la bonne hauteur !
En tant que femme, je dois dire que ces remarques sont de plus en plus difficiles à supporter, tout comme les odeurs de fumée émanant de votre barbecue. Nous ne sommes pas, cher voisin, des bouts de viande à embrocher… Et je me ferai un plaisir de vous le prouver…
En espérant que vous prendrez bonne note de ces plaintes et de mon invitation, veuillez recevoir, Monsieur Barbecue, mes salutations les moins cordiales.
La voisine du dessus, le 24 février 2015
Chère Madame,
Chère voisine, je vous écris à nouveau pour vous faire part de mon mécontentement. Si j’ai pour habitude de vous importuner régulièrement au sujet de votre insupportable progéniture, le sujet de cette lettre est toutefois bien différent. Je vous serais donc gré de laisser votre esprit obtus entre-ouvert pendant ces quelques ligne que je puisse y glisser poliment mais fermement mes doléances.
En effet, depuis peu j’éprouve des difficultés à me concentrer dans mon travail. Vous savez combien mes études des courbes féminines humaines me sont cher, vous comprendrez donc que je ne puisse tolérer vos nuisances sonores à chaque fois que Monsieur Gustave vient chercher son courrier, ou plutôt devrais-je dire « claquer son courrier ». Car il faut bien admettre que la virilité dont il fait preuve dans cette gestuelle journalière force le respect. Seulement pour être aussi une boîte aux lettres, je ne peux m’empêcher de me dire que cela doit être bien douloureux pour vous. Sauriez-vous alors m’expliquer pourquoi je dois contre toute attente ensuite subir vos gémissements lubrique pendant de longues minutes?
Vous comprendrez que cette situation ne peut durer. Croyez-moi, je m’en voudrais de briser votre petite famille à cause de vos déviances sexuelles mais si vous ne revenez pas à des comportements plus catholiques, j’y serais malheureusement forcé.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer mes salutations les plus sincères.
Votre voisin du dessous
Votre voisin du dessous… Je l’ai croisé l’autre jour. Il est quand même étrange… Vous êtes sûre que ce n’est pas un déguisement ? On dirait qu’il a acheté le complet aux puces et qu’il l’a décoré avec tout ce qu’il trouvait. Les épaulettes, sérieusement, on dirait des brosses à vaisselle ! Et ses décorations, ça serait des patchs qu’on met sur les habits des enfants pour cacher les trous que ça ne m’étonnerait pas. Je suis trop dure ? Ah bon ? Si vous le dîtes…
Mais vous savez, j’ai croisé Mme Machin l’autre jour à la lessive et elle pense la même chose que moi, sa voiture est toujours parquée devant l’immeuble, il ne s’en sert jamais… Et le voisin d’en face, il le voit depuis son balcon : il dit qu’il est tout le temps à la maison… Pour sûr, il ne travaille pas, il fait semblant… Ah oui, c’est vrai, un de ses collègues est venu le chercher l’autre jour, vous avez raison, je juge peut-être trop vite… Mais peut-être que c’était un autre fou comme lui ?
Je sais pas, d’habitude, je ne suis pas langue de vipère, mais là, honnêtement… Je ne le vois pas du tout piloter des avions de chasse ou des hélicoptères. Ca devait être son rêve d’enfant et il n’a pas pu le réaliser : du coup il est frustré et il compense comme il peut, ça arrive souvent ça vous savez… Son appartement doit être rempli de petites miniatures et de cartes du ciel… Je suis méchante… Mais n’empêche que…
La commère n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’un vrombissement assourdissant se fit entendre. Un hélicoptère fendit le ciel et vint se poser sur le parking extérieur. En descendit le voisin en question qui passa, tout sourire, devant tous les habitants de l’immeuble bouche bée, en lançant un joyeux : « Excusez-moi pour le dérangement, j’ai oublié mes clés… Je vous ferai faire un tour en guise de dédommagement… Bonne journée ! ».
« Excusez-moi pour le dérangement, j’ai oublié mes clés… Je vous ferai faire un tour en guise de dédommagement… Bonne journée ! » qu’elle lui avait dit. Non mais ça va pas! Faudrait voir pour pas le prendre pour une buse non plus.
Depuis que Gustave avait déplacé l’aube vers midi pour conjuguer son amour de la grasse matinée et son envie de conquérir le monde, il sirotait son jus de pastèque sur la plage pour se lancer du bon pied dans sa journée. Jusqu’à hier jamais lors de son rituel fruité, il n’avait vu de maison de mouche dans son verre. Encore moins une maison comportant une porte qui pourrait nécessité une clé. Nous ne parlerons même pas de son invitation ridicule à y faire un tour: comment voulez vous donc que Gustave rentre dans son verre? Non la seule possibilité était que ce maudit insecte lui avait menti.
Ce matin il avait donc pris ses précautions: « vient donc goûter de mon breuvage la mouche que je t’offre un tour de mon ventilateur » murmura t-il avant de se rendormir pour sa sieste de l’après-midi.
« Viens donc goûter de mon breuvage la mouche que je t’offre un tour de mon ventilateur » murmura-t-il avant de se rendormir pour sa sieste de l’après-midi. Dernièrement, Gustave avait le sommeil agité. Il faisait des crises de somnambulisme, tenait des discours incompréhensibles dans son sommeil et se réveillait parfois debout au milieu d’une pièce dans des positions incongrues.
Cela inquiétait d’ailleurs passablement Rhubarbe, son vieux chien de garde. Lorsqu’il voyait son maître ainsi, il se réveillait et le suivait discrètement, prêt à intervenir s’il se mettait en danger. C’était, en quelques sortes, son ange gardien et Gustave le savait bien. Il lui rendait la pareille, dès son réveil, en l’emmenant découvrir des endroits insolites dont lui seul avait le secret.
Gustave avait l’habitude de tenir Rhubarbe en laisse lors de leurs promenades et n’avait jamais remis cette pratique en question jusqu’à ce beau jour d’été. Alors qu’ils se baladaient tranquillement en forêt, ils croisèrent une femme et sa chienne, magnifique ! Immédiatement sous le charme, Rhubarbe tira sur la laisse avec une force insoupçonnée, jetant son maître à terre. Gustave eut beau gonfler tous ses muscles, rien n’y fit : au bout de quelques minutes, il lâcha prise, couvert d’égratignures.
Depuis ce jour, et pour s’éviter de nouvelles blessures, Gustave promena Rhubarbe sans laisse. Ce fut la meilleure façon qu’il trouva pour remercier celui qui veillait fidèlement sur ses nuits… Rhubarbe et Gustave étaient radieux.
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