9 years ago
Ecirbaf sortit de sa petite maison en bois. La porte fermait mal. Elle était un peu déformée par le sable qui s’accumulait pendant la nuit. Il dut la pousser un peu avant d’entendre le loquet tomber à sa place. Rassuré, il se retourna pour contempler le désert. La main en visière pour se cacher du soleil déjà mordant en cette matinée tardive, il étudia l’horizon méticuleusement. La forêt avait bien avancé d’une centaine de mètres cette nuit. La situation empirait de jour en jour. Il était temps pour lui d’agir.
Il rabattit sa capuche sur son crâne chauve tanné par le soleil. Instantanément, comme un réflexe induit par la capuche, son caleçon-tortue émergea de sa longue robe.
– Maître, nous partons?
– Oui Ordnas.
– Pour aller où?
– Transforme-toi, je t’expliquerai en chemin.
Ordnas s’exécuta. Il s’allongea sur le sable brûlant. Rapidement, il se mit à grandir. La taille adéquate atteinte, Ecirbaf sauta sur son dos et ils s’envolèrent.
– Excusez-moi maître est-ce que c’est urgent, urgent, votre problème? demanda Ordnas.
– Pourquoi mon cher?
– C’est juste que vous m’avez réveillé un peu vite et que je n’ai pas eu le temps de prendre mon déjeuner. On vient de partir et mon ventre me crie déjà famine. Je n’aimerais pas nous écraser subitement.
– Tu as raison qui veut voyager loin, ménage sa monture. En plus qui sait, peut-être trouverons nous ce que je cherche lors de ce petit arrêt. Je vois une gare un peu plus au nord, pose toi là-bas, on y trouvera surement quelque chose d’ouvert.
La gare semblait malheureusement déserte. Ce n’était qu’une petite gare de campagne qui ne devait accueillir que peu de correspondances. Comme dans un western, seul quelques botte de paille balayée par le vent les accueillirent.
– Maître, même revenu a ma taille de caleçon-tortue S, j’ai une faim XXL. J’ai bien peur qu’on ne puisse repartir sans avoir mangé.
– Attend mon petit Ordnas, je sens quelque chose.
Ecirbaf humait l’air à la recherche de quelque chose.
– Voilà, je la tient. De la saucisse! Tu aimes les saucisses Ordnas?
– Oh oui maître! J’adore mais avec du pain, comme dans les fêtes.
– Suis-moi!
Ecirbaf se mit en avant d’un pas rapide. Ils longèrent le quai, prirent la grande porte au milieu du bâtiment pour finalement se retrouver dans la salle d’attente.
– Mesdames et Messieurs! Bonjour! Bienvenue dans notre émission du matin: Petit déjeuner pour un Caleçon-Tortue!
Devant eux se tenait un Télévisihomme en pleine émission culinaire. Il était assis sur le banc longeant le mur de gauche, les bras croisés, semblant les attendre. Le fumet repéré par Ecirbaf sortait de sa têtelevision. La présentatrice était une grosse bonne femme au visage sympathique. Elle coupait du pain pendant qu’a côté d’elle grillait de délicieuses saucisses de veau. Ordnas en eu les larmes aux yeux.
– Ecirbaf! Je ne vais pas pouvoir manger les saucisses, elles sont dans une télé.
– Le Monsieur dans le publique voudrait goûter les saucisses! l’interrompit le Télévisihomme. Marie-Thérèse veuillez donner à notre téléspectateur une saucisse s’il vous plait.
Marie-Thérèse se saisit d’une saucisse avec sa fourchette, la plaça sur une petite assiette de carton au côté d’un morceau de pain et la lança à travers le téléviseur dans les bras de Ordnas qui n’en pouvait plus de bonheur.Pendant que son compagnon déjeunais joyeusement, Ecirbaf s’intéressa à leur bienfaiteur:
– Excusez moi, est-ce que vous vous y connaissez en forêts?
La têtelevision se mit à grésiller, l’image se brouilla, pour finalement faire apparaître l’introduction d’un documentaire.
– La forêt est le poumon du monde. Cet écosystème riche et fragile est actuellement…
– Très bien. Vous m’intéressez. Vous avez quelque chose de prévu aujourd’hui?
– Notre programme de la journée sera constitué d’une émission exceptionnelle: « Aventures forestières avec Ecirbaf et Ordnas »! Nous vous attendions pour commencer!
– Eh ben vous n’êtes pas difficile à convaincre vous. Ca ne va pas forcement être agréable comme voyage, vous allez peut-être devoir vous battre, vous êtes sur de vouloir nous suivre?
– Cher publique, j’en suis sûr! C’est mon dernier mot!
Ecirbaf se tourna vers son ami entrain de terminer sa saucisse.
– Ordnas, nous partons! Notre nouvel ami va nous accompagner, il te donnera à manger et devrait nous servir pour notre problème de forêt.
– Noobtre problemb de bforêt? Interrogea Ordnas la bouche encore pleine.
– Ah oui! Je ne t’ai pas expliqué. Transforme toi et je vous explique en chemin.
Ils sortirent de la salle d’attente, Ordnas se coucha contre le sol tiède de la gare, grandit d’une taille supplémentaire pour accueillir le Télévisihomme et ils décollèrent.
A peine arrivé a hauteur de croisière, l’écran du Télévisihomme se mit à grésiller, suivit d’une musique rock furieuse. Sur l’écran un publique en délire hurlait une chanson le sourire au lévres et les seins à l’air pour les plus enthousiastes. « Flying Billy Live » indiquait le titre de l’émission. La caméra remonta dans un lent mouvement au dessus de la foule jusqu’a la scène ou se tenait la star. Le chanteur faisait rugir son réacteur vocal en rythme avec ses genoux. Son corps entier semblait possédés par le diable. Les premiers rang se tenaient au barrières lors du refrain pour ne pas s’envoler. Ce Flying Billy était simplement extraordinaire! Ecirbaf applaudissait à tout rompre devant la têtelevision.
Ce qui marche dans un sens marche forcement dans l’autre se dit-il.
– Ordnas grandis un coup, on a un nouvel invité.
Ecirbaf attendit que la caméra fasse un gros plan sur Flying Billy, lança dans un mouvement vif sa main à travers l’écran, attrapa le chanteur par le collet et lui fit faire tout aussi rapidement le chemin inverse. Sur l’écran, le micro resta un moment en l’air avant de se rendre compte de la disparition du chanteur. Les spectateurs eux s’étaient tous arrêté de danser et fixaient la scène l’air complètement ahuri. Le micro chuta finalement sur la scène et la retransmission fut coupée.
Flying Billy, lui, continuait de chanter. Pas décontenancé le moins du monde par son voyage à travers la têtelé, il donnait tout ce qu’il avait dans la fin de son refrain. L’air propulsé par son réacteur projetait Ordnas à une vitesse phénoménale. Lorsqu’il en eu terminé, il se tourna simplement vers le reste de la bande et demanda:
– Ou est-ce qu’on va?
– Justement vous tombez bien j’allais leur expliquer avant de vous rencontrer.
Ecirbaf s’éclaircit la gorge.
-Tout d’abord, merci à tous d’être là.
– C’est pas comme si j’avais choisi pour ma part, grommela Flying Billy. Mais on va dire que ça me fait aussi plaisir. Venons-en aux faits: pourquoi sommes-nous là?
– J’allais y venir. Ordnas et moi sommes persécutés par une forêt. Elle coule sur notre désert.
– J’ai connu ça aussi, intervint Flying Billy.
– Ah oui et qu’as-tu fait?
– Je lui ai dit de courir.
– De courir? A qui?
– A une petite poulette danseuse que j’avais rencontré lors de ma tournée en Inde. Nous discutions allongés l’un à côté de l’autre après une démonstration de mon jeu de jambes en privé. C’est l’heure que choisissent les poulette pour les confidences. Elle m’a expliqué qu’elle ne comprenait pas comment je pouvais l’aimer alors que son ventre coulait lamentablement sur ses pattes. Ce à quoi j’ai répondu sagement: « Cours, c’est bon pour la graisse ». Sa sensibilité exacerbée et son esprit féminin ont inversé le résultat: c’est moi qui ai dû courir. Elle s’est mise à jacqueter que j’étais un immonde personnage en me lançant la moitié de son appartement au visage. Son mixer a failli me casser la turbine si bien que ma dernière heure de chanteur était arrivée. Malgré tout, crois moi petit gars: si ça coule, il faut courir.
– Billy, je ne voudrais pas me montrer désagréable mais je ne vois pas en quoi cela est applicable à mon problème?
– Facile! La forêt arrive: barre-toi!
– C’est tout?
– C’est tout.
– Ok, ben maintenant qu’on a bien rigolé on va pouvoir aller sauver ma maison.
– Ahhh les jeunes…
Les frères Gili riaient de bon coeur comme à leur habitude. Ce nouveau jeu était rudement chouette! Leurs parents les connaissaient bien. Il avait suffit de changer un peu le décor pour que les petits personnages s’agitent. Celui avec le caleçon volant en premier et touts les autres dans son sillage. Ce que c’était drôle! Le préféré d’Hubert était l’homme télévision. C’était un peu idiot comme idée, un homme télévision, mais il aimait ses pouvoirs magiques. Son frère Rémy préférait Ecirbaf le héros, comme un gros nul. Tout le monde aime les héros. C’est pour ça que Hubert avait décidé qu’il allait bientôt le tuer. Rémy serait fâché un moment mais il se rendrait vite compte que cela ne pouvait que servir leur histoire.
– Hubert! Rémy! Le repas est prêt! A table!
Ils ôtèrent les sacs de papier de leur têtes et se précipitèrent à la cuisine en se poussant dans les escaliers. Toujours en rigolant.
Ecirbaf et sa bande atterrirent à l’orée de la forêt vers quatorze heures, Flying Billy ayant considérablement accéléré le voyage. Ils mirent pied à terre, Ordnas retrouva sa taille et sa place sous la jupe d’Ecirbaf. Le groupe s’engagea ensuite à travers les arbres. Etrangement, il y faisait nuit. Personne n’ayant pris de lampe de poche, le Télévishomme alluma sa tête. C’était l’heure des nouvelles régionales. Ils firent donc leurs premiers pas accompagnés de Rodolphe le fermier fâché contre le prix du lait. Il attaquait une grande enseigne avec son taureau lorsque le groupe s’arrêta brusquement. Une silhouette était pendue à un arbre. Ils s’approchèrent pour constater à la lueur de la têtelé que l’homme était pendu par les pieds. Il ne bougeait pas, comme mort. Il avait pour tout habit un short tâché. Une plume était plantée dans son crâne. Lorsque Billy éternua, le corps chuta à ses pieds. Ecirbaf lui lança un regard agacé et s’approcha du mort. Contre toute attente, ce dernier bailla puis se redressa en époussetant son short.
– Hop hop hop! Je me suis endormi. Quelle heure est-il? 14h10! Mon Dieu!
Il sortit la plume de sa tête, se mit à tapoter avec sur ses huit yeux à toute vitesse et le soleil se leva sur la forêt.
– Merci mon brave! lui lança Ecirbaf.
Ils continuèrent le chemin têtelé éteinte.
Ecirbaf malgré son pas assuré ne savait pas ou il allait. Le problème venant de la forêt, il s’y était assez logiquement rendu. Maintenant qu’ils y étaient, il ne savait pas trop ce qu’il y cherchait. Probablement une sorcière, un demon sanguinaire ou quelque chose de cet ordre la. Il se battrait contre lui avec sa petite bande de héros improvisés et rentrerait se coucher. Seulement il n’y avait rien dans cette maudite forêt. Il s’arrêta donc pour demander son chemin. Une souche dansait la javanaise sous un arbre. Il l’interrompit dans sa danse envoutante:
– Excusez-moi mademoiselle, je cherche une sorcière ou un démon monstrueux. En auriez vous vu passer un?
– Bien sûr répondit la souche avec un accent chinois. Marchez tout droit deux kilomètres et tournez à gauche après le lampadaire.
– Vous êtes bien aimable. Bonne journée!
– Bonne journée à vous messieurs.
Il continuèrent leur chemin charmé par ce si joli caleçon à coeurs.
Les flashes crépitaient et les questions fusaient, Le Grand Poubellator était un peu effrayé.
– Monsieur Poubellator! Qu’allez-vous faire?
– Poubellator! Poubellator! Un mot pour le peuple de la forêt qui compte sur vous! Allez-vous nous protéger?
– Poubellator s’il vous plaît! Votre régime riche en déchets bio suffira t’il à compenser leur surnombre?
– Poubellator! Vous ne vous êtes plus battu depuis dix ans et la crise des deux choux-fleurs siciliens, vous pensez être toujours à la hauteur?
– Maître Poubellator! Les gens ont peur! Protégez-nous!
Poubellator avait la tête qui tournait, ces journalistes exagéraient. Tout allait bien se passer.
– Patron?
– Oui Giovanni?
– Ca fait dix ans aujourd’hui!
– Super. Joyeux Anniversaire Giovanni.
– Moi je la trouvais top votre idée. Sincèrement.
– Merci Giovanni.
– Vous avez juste manqué de chance. Ca arrive.
– …
– Le panorama n’est pas si mal ici pour finir. J’ai toujours rêvé de vivre sur une île.
– Sérieusement Giovanni, sans jambes sur une île de 5 mètres carré?
– Moi tant que je suis avec vous Patron, ils peuvent bien m’enlever ce qu’ils veulent.
– Tu es gentil Giovanni, mais sans cette histoire de choux-fleurs, tu serais au village à manger des arrancine dans la maison de ta Nonna. Je m’en veux un peu.
– C’est surfait la nourriture Patron. Dix ans sans manger c’est pas tant que ça. En plus, pour être tout à fait sincère, le voir nous arracher les jambes ça m’a coupé l’appétit.
– Un barbare ce Poubellator, mon petit Giovanni. On ne méritait pas ça. La police me manque.
Le sergent-bouteille Piguet avait mal au dos. Cela faisait maintenant plusieurs heures que le combat faisait rage. Non seulement la vue de tout ce sang l’horrifiait mais il était de plus tenu de rester debout. « Piguet, nous représentons l’ordre et la discipline, on ne surveille pas un combat en position assise », lui avait dit son supérieur.
Il était le 467ème agent mobilisé pour entourer la clairière qui voyait se disputer un combat sans merci entre les envahisseurs et le Grand Poubellator. Leur rôle était d’empêcher la fuite des 3 gaillards et d’assister Poubellator si le besoin s’en faisait sentir.
A voir le déroulement des choses, ils allaient tous pouvoir rester bien tranquillement à regarder: le héros national était en forme. Ses adversaires avaient beau lutter de toutes leurs forces, ils n’étaient pas de taille. Le Télévishomme avait pourtant matérialisé de fort belles armes au travers de son étrange tête, mais toutes avaient lamentablement échoué. Poubellator était invincible.
Piguet ferma les yeux lorsque leur champion arracha les jambes du héros adverse.
Hubert Guili regardait son cerveau fier de lui. Quelle beauté! Seul un prince de la galaxie comme lui pouvait avoir un si bel organe.
– Hubert! Enlève ton masque idiot et range ce chou. Maman va nous crier dessus. Tu sais qu’elle n’aime pas qu’on joue avec la nourriture.
– Jamais! Le prince de la galaxie ne se soumet à personne, même pas à sa mère.
– Tu verras quand je lui dirai que tu m’as tué mon héros et qu’elle t’aura flanqué une bonne fessée, si t’es toujours le prince de la galaxie.
– Pffff t’es pas drôle comme frère. C’est bon je l’enlève. Mais je maintiens que ce casque est trop cool. Si on vivait dans l’espace il serait parfaitement possible que je sois prince.
– …
– Tu fais la gueule?
– …
– C’est bon, je te l’ai pas tué ton Ecirbaf. Je lui ai arraché les jambes. C’est pas pareil.
– Ah oui et tu connais des héros sans jambes toi?
– Des héros non, mais des super-villains oui. On va le transformer ton Ecirbaf. Tu vas voir ça va être encore plus drôle. Il sera même encore plus fort si tu veux.
– Comment plus fort?
Hubert remet son casque et prend une pose théâtrale.
– Le côté obscur cher frère. La célèbre force du côté obscur!
Fort longtemps après la cuisante défaite d’Ecirbaf, la forêt recouvrit le monde. En ces lieux qui avaient accueilli cette bataille aujourd’hui oubliée, Isidore découvrit un trésor.
Un coffre de taille moyenne était encastré dans un rocher. Cache idiote pour un trésor. Isidore se demanda pourquoi personne ne l’avait trouvé. Il comprit en l’ouvrant: personne ne voulait le trouver. Une vieille télévision y était cachée. Un modèle que l’on ne faisait plus depuis des temps immémoriaux. L’image n’était que saturation de neige électronique mais le son fonctionnait toujours. Elle criait en boucle: « Mesdames et Messieurs! Danger! Danger! Fuyons! Il est invincible! ». Isidore, déçu, se demanda s’il n’allait pas faire comme les autres et refermer le coffre, laissant cette désagreable découverte à d’autres. Finalement, pour une mystérieuse raison, il se ravisa et la rangea dans son sac.
« Pignon Télévision Réparation » indiquait l’enseigne. A travers la vitrine, Isidore distinguait une jolie robot qui lui faisait signe d’entrer. Cédant à la sympathique invitation, il pénetra dans le magasin.
– Madame Pignon je suppose?
– Monsieur Pignon, dit la jolie robot d’une voix grave en s’élevant vers le plafond.
Un vieux robot de type motard apparut de sous le comptoir et enchaina:
– Ca ne sert à rien de lui parler, elle est morte depuis longtemps. Je l’ai récupérée dans une décharge et collée sur ma tête pour attirer le chaland. Qu’est-ce que je peux faire pour vous?
– Je viens pour une télé. Une vieille télé. J’espère que vous pourrez faire quelque chose.
Isidore sortit le trésor de son sac et le posa sur le comptoir.
– Mais ce n’est pas une télé mon bon Monsieur! Je m’en occupe, ne vous inquiétez pas. Revenez demain.
Monsieur Pignon tremblait. Une Tetelé. Ca alors!
Le presse-citron dansait au milieu des étoiles.
– Mon petit Isidore, il faut pas être triste comme ça!
– Tu es un presse-citron, tu ne peux pas comprendre mon malheur. Tu n’y connais rien.
– Parle-moi mon petit Isidore, je suis là pour solutionner tous tes problèmes.
– Le trésor que je cherchais. Celui qui devait me rendre riche. Ce n’était qu’une vieille télé.
– Quelle horreur!
– Et tu sais le pire dans tout ça?
– Non mon petit Isidore?
– Ce n’est même pas une télé.
Isidore s’écroula en pleurs sur le bar, faisant chuter verres et bouteilles.
Le presse-citron inutile s’en alla, lui, avec son ivresse.
Ecirbaf riait aux éclats dans son nouveau vaisseau à plumes. Plus il regardait la porte taper du pied et hurler sur la rive, plus il riait. Ce peuple lui était décidément bien sympathique. Ils avaient récupéré les restes de son tronc à la dérive suite au massacre de la forêt, l’avaient recueilli et guéri pendant toutes ces années. Aujourd’hui, il était apte à se mouvoir avec son nouveau corps et s’en allait avec un de leurs magnifiques canards des mers.
Ils sont aussi cons que je suis génial, se dit-il.
Il regarda encore quelques minutes son ami de bois gesticuler sur la rive avant de faire exploser l’île entière. Une pluie de confettis incandescents illumina le ciel de cette journée qui commençait fort bien.
La sirène se savonnait tranquillement dans sa petite baignoire de mer. Elle était de bonne humeur aujourd’hui. Un beau feu d’artifice avait accueilli son réveil. Après son bain, elle irait manger quelques algues et ensuite se préparerait à distraire quelques marins en manque de féminité.
Le canard apparut alors qu’elle finissait de se nettoyer les aisselles. Elle n’était pas encore coiffée, ce qui expliqua pour elle la situation qui s’en suivit. Le canard s’arrêta devant elle et de sa tête sortit un personnage avec une capuche qui s’adressa à elle en ces termes:
– Casse-toi mocheté, t’es sur la route de ma vengeance!
Et l’impertinent se mit à lui tirer dessus avec une arme. Cela la mit de mauvaise humeur pour le reste de la journée. Elle ne sortit même pas voir les marins.
Moche-moi?! Pis quoi encore!Robert posa son sifflet et jeta sa bière:
– Eh ben mon petit Charlie, faut que j’arrête cette merde.
– Qu’est-ce qui t’arrives? lui répondit Charles depuis son berceau.
– J’ai vu un type parler avec une télé.
– Oh, ca peut arriver. Sûrement qu’il regardait un match de foot. Les gens font ça avec le sport.
– Non, non, il vient de passer là, devant moi. J’ai entendu ce qu’il disait même. Il tenait la télé bien devant lui et il lui a dit: « Je le crois pas! Tu marches! Je suis vraiment content de t’avoir sorti de ce rocher! »
– Ah oui quand même…
– Attends, attends c’est pas fini. La télé lui a répondu: « Isidore, c’est moi qui te remercie voyons. Sans toi je serais encore à hurler dans le noir ». Et après j’ai moins entendu, mais ils parlaient d’un grand danger et de jambes perdues.
– Pauvre vieux, je crois que tu perds la boule. File-moi une clope que je me rendorme.
– Tu fais chier Charlie, tu vas mourir avant d’être tout à fait né à ce rythme-la. Qu’est-ce que je vais faire tout seul moi?
Charlie dormait déjà. Robert se remit à jouer du sifflet pour gagner de quoi souper.
– Dis-moi, comment vous vous en êtes tiré de cette bataille?
– Parce que tu trouves qu’on s’en est tiré toi? Je n’ai plus que ma tête et les autres ont disparu. Je ne sais même pas s’ils sont toujours vivants.
– Tu as toujours ta tête, je ne pense pas que Poubellator était du genre à laisser des restes pourtant?
– Pas tout à fait non. Quelqu’un est intervenu.
– Qui ça?
– La Nuit!
– La Nuit? Mais ça n’existe pas. Le soleil qui se couche, le ciel qui devient sombre. C’est une légende que l’on raconte aux enfants pour les effrayer.
– Ne parle pas de ce que tu ne connais pas. La Nuit existe. Je l’ai vu de mes yeux. On dit communément « La » Nuit, mais c’était un homme, en réalité. Alors que notre petit groupe gisait à terre, entouré de centaines de gardes et de Poubellator, il est apparu. Sans rien dire, il nous a enveloppé et emporté avec lui.
– Mais bien sûr! Ensuite vous vous êtes perdus dans le noir je suppose, c’est pour ça que tu ne sais pas ce qui est advenu de tes camarades?
La Tetelé ne releva pas le sarcasme.
– Non. Malheureusement, La Nuit mourut ce soir-là. Les soldats se mirent immédiatement à lui tirer dessus. Il survécu juste assez longtemps pour nous jeter aussi loin que possible de cet enfer, avant de laisser place au soleil pour toujours. Voilà pourquoi je ne sais ce qui est advenu aux autres.
– De deux choses l’une, petite télé: soit tu es encore détraquée, soit j’ai trouvé bien mieux qu’un trésor dans ce coffre.
« L’administration c’est bien, tu verras mon fils. C’est un bon travail. Une fois que t’es nommé, t’es tranquille pour la vie! »
Oui oui, l’administration c’est fantastique. Le département des affaires à dissimuler. Génial! Vingt ans que je brûle des morceaux de bois. « Des morceaux de bois ultra secrets mon fils, c’est palpitant. Les plus grands secrets de l’Etat ». Il y a bien que ma mère pour être excitée par ça, sinon je serais marié depuis longtemps.
– Roger, ça avance ce dossier Poubellator?
– Gentiment chef!
– Accélère, tu ne quittes pas le boulot tant que le carton entier n’est pas parti en fumée. « Affaire urgente », qu’ils ont dit au-dessus. Je crois que c’est un dossier bien moche qui revient d’entre les morts.
– Bonjour mon petit Thomas!
– Bonjour Madame Juliette! Je vous fait le plein comme d’habitude?
– Tu es bien aimable. De la super s’il te plaît et…
– …jusqu’au trois quart sinon le réservoir se met à fuir. Je sais Madame Juliette. Je vous met le journal également?
– Oui volontiers. J’ai entendu qu’un étrange personnage s’était établi sur le continent. On dit qu’il a construit un gigantesque château mécanique dans une crypte près de la capitale. Tout noir le château. Il paraît que rien qu’à le regarder vous en avez des frissons de peur.
– Oh oui Madame Juliette, ils en parlent dans le journal. Ils ont même des photos. On y voit le château mais pas seulement. On y voit le propriétaire aussi: un être recroquevillé sur lui même avec une capuche et des jambes en fer. Ca vous glace le sang. Je me demande ce qu’il veut à notre beau pays.
– Je n’aime pas ça non plus mais ne t’inquiète pas, il partira surement comme il est venu. Tiens, c’est pour le plein et pour t’acheter de quoi te faire plaisir. Bonne journée mon petit Thomas!
– Bonne journée Madame Juliette!
Le monstre casse tout. Il remue ses multiples tentacules. La capitale est dévastée. Les habitants courent comme des poules sans têtes, le désordre est total. La police ne peut rien contre cette créature venue du ciel, les balles rebondissent contre sa peau flasque sans même l’égratigner. Pire, certains agents meurent sous leurs propre balles. Les hélicoptères filment la scène pour avertir le pays entier du danger en approche…
RHAAAAA!!! Ecirbaf balaie son plan machiavélique de la main. La maquette de la ville ainsi que l’appareil photo faisant office de monstre s’écrasent sur le sol du salon. Ce plan est ridicule! Pas assez de morts, pas assez de sang, ils doivent payer au centuple! Ordnas, je vengerai ta mort. J’empilerai leurs corps par milliers s’il le faut, jusqu’à ce que ma tristesse se tarisse. Une ville ne suffira pas. Pense Ecirbaf, pense! Il y a forcément une solution.
Isidore prenait son dernier bain avant d’emmener la télé voir le lieu où il l’avait trouvée. Elle avait insisté pour y aller. Etant déprogrammée à ce moment-là, elle voulait voir si en retournant là-bas elle retrouverait un indice quant à la localisation de son corps. Isidore pouvait comprendre ce souci: n’avoir qu’une tête devait être embêtant. Rien que pour pisser tiens, ça doit compliquer sacrément les choses.
Sur cette bonne pensée, Isidore se leva. Il fit un trou dans la mousse du bain du bout du doigt et fit signe au bouchon de sortir. Pendant qu’Isidore se séchait, Monsieur Bouchon sortit du bain, laissant l’eau s’évacuer. Il nettoya, ensuite, ses lunettes et tendit sa moustache à son maître qui se peigna méticuleusement ses trois cheveux avant de sortir.
Il se pencha au coin de la rue pour voir si elle était devant chez elle. Personne. Les rideaux de la maison étaient tirés. Parfait. Il se lança dans la rue en serrant fort sa petite lettre sur son ventre métallique.
Cahin-caha il avança le long de cette rue qu’il avait parcourue mentalement des centaines de fois les nuits précédentes. Il s’agissait de ne pas tomber maintenant, avec ce déguisement il ne se relèverait jamais. Quelle humiliation si elle le trouvait gesticulant dans le caniveau. La surprise devait être belle, c’était important.
Après plusieurs minutes de traversée méticuleuse, il prit place devant sa porte sans encombre. Génial! Il ne lui restait plus qu’à attendre.
Quand Ecirbaf était déprimé, il regardait des séries télévisées parlant d’amour si possible et niaises dans l’idéal. Cette fois, il en avait trouvé une rudement chouette: «René et Hermeline, l’amour dans un magazine». Comme l’indiquait le titre, c’était l’histoire d’un couple qui se rencontrait par le truchement d’un magazine. Ce dernier était posé dans la salle d’attente d’une gare provinciale. Chaque épisode contait leurs lettres glissées dans les pages de la revue. Amour et niaisitude, unis pour le meilleur et pour le pire mais surtout pour remonter le moral de ce pauvre Ecirbaf empêtré dans sa vengeance.
Subitement, il se mit à hurler:
– Machiiiiiiin! Viens ici!
Quelques secondes plus tard apparut à la porte de la chambre Machin, la machine à écrire personnelle d’Ecirbaf.
– Machin j’ai eu une idée: je vais écrire une lettre. Viens par ici.
– – – – – – – – – – – – – – –
– Rémy! Rémy! Y a plus d’image! T’as vu? Ca fonctionnait, Ecirbaf allait commencer sa lettre et tout à coup, paf le bidule il s’est éteint! Rhaaaaa ça m’énerve ce genre de truc, je déteste quand on peut pas connaître la fin. A quoi ça sert d’avoir fait tout ça si on sait pas qui meurt au final? Il était tellement fort avec ses jambes en fer! Il allait gagner ton Ecirbaf, Rémy. Rémy?
Hubert Guili se retourna pour constater que son frère n’était plus là.
Juliette sortit de chez elle. Elle descendit la volée de marches la séparant de la rue quatre à quatre et s’arrêta net.
– Juliette! Juliette!
Elle chercha autour d’elle. Personne.
– Juliette! Voici une lettre pour vous!
Juste devant elle, une poubelle lui parlait. La poubelle tenait dans ses petites mains métalliques une lettre avec un coeur sur le dessus. Juliette s’en saisit et la lut.
Chère Juliette,
Je suis désolé pour vendredi passé à la récré. Je voulais pas vraiment te rejeter, c’est juste que Hubert et moi on avait reçu un jeu trop cool de mes parents et je voulais pas aller au parc avec toi samedi. J’aime bien le parc mais j’avais un héros qui s’appelait Ecirbaf. Il était vraiment bien. Je voulais voir comment il allait sauver le monde. Si j’allais au parc j’allais louper toute l’histoire. Bon, après Hubert mon idiot de grand frère il a tout cassé. Il aimait pas Ecirbaf alors il l’a fait en méchant et il s’est mis à tuer tout le monde. Il avait dit que ce serait mieux mais c’était pas mieux.
C’est là que je me suis rappelé que je suis amoureux de toi et que jouer avec toi c’était bien plus rigolo. Au moins tu veux tuer personne et tu m’aimes. Pour te venger, j’ai cassé le jeu quand mon frère regardait pas et je suis venu pour te faire une surprise. Je suis dans la poubelle devant toi. Si tu es encore amoureuse malgré notre séparation de ce week-end, toque trois fois sur le toit.
Rémy ton amoureux
TOC, TOC, TOC!
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